À l’image de l’école, le métier d’enseignant a connu et continue de connaître de nombreuses évolutions dans ses modalités d’accès, de formation et d’exercice. Pourquoi choisir cette voie aujourd’hui et comment s’y épanouir ? Quelles sont les conditions de réussite ? Daniel Auverlot, recteur de l’académie de Créteil, a répondu à nos questions.

Daniel AUVERLOT a été professeur de lettres classiques, inspecteur d’académie de trois départements, inspecteur général de l’Éducation nationale, sous-directeur en administration centrale, puis recteur de l’académie de Limoges. Il est actuellement recteur de l’académie de Créteil.

Qu’est-ce qui peut aujourd’hui donner envie de choisir le métier d’enseignant ?

Je crois que pour devenir enseignant aujourd’hui, il faut :

  • avoir l’envie de transmettre ;
  • avoir une relation facile avec les enfants et les adolescents ;
  • et être capable de travailler en équipe, avec d’autres adultes et avec différents métiers (vie scolaire…).

Quel profil les candidats doivent-ils avoir pour réussir le concours et le master ?

Ce qui me frappe, c’est justement la diversité des profils que l’on retrouve dans les masters MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation). On a des profils de toutes natures et je trouve que c’est une richesse. Toutes les licences peuvent être de bonnes voies pour des gens qui vont pouvoir se découvrir une vocation qu’ils n’avaient pas forcément envisagée en L1.

En particulier sur le recrutement de professeurs des écoles, j’aimerais bien que les filières scientifiques soient plus représentées. Parce qu’une des questions qui se posent aujourd’hui, c’est l’enseignement à l’école primaire des mathématiques et des matières scientifiques alors que nous avons plus de 80 % de nos enseignants qui viennent des lettres ou des sciences de l’éducation.

Le concours reste sélectif, le master difficile, à cause de la charge de travail notamment… Je ne saurais m’exprimer sur les concours, puisque vous savez que cela fait l’objet de rapports, d’analyses, de propositions qui ne sont pas encore tranchées. Mais parlons du master. Quand est-ce qu’on apprend le métier d’enseignant ? Pas en licence, puisque ce sont des enseignements disciplinaires. Ensuite, en M1, il y a une focalisation des étudiants sur le concours. Ce qui se passe en M2, c’est que nous avons des enseignants qui ont à la fois leur charge d’enseignement, des cours théoriques à l’INSPÉ et le mémoire. Et c’est cette accumulation qui peut poser question, avec un pourcentage relativement important de gens qui s’en vont en cours de route.

Pourquoi ces enseignants stagiaires décrochent- ils ?

Parmi ces enseignants stagiaires, il y en a qui comprennent qu’ils ne sont pas faits pour ce métier-là. C’est spécialement le cas des enseignants du 2nd degré qui ont un rapport à la discipline plutôt qu’un rapport à l’adolescent. Ils avaient idéalisé l’enseignement de leur discipline et se retrouvent confrontés à une classe de 4e, la classe la plus difficile du système. Souvent, ce que je dis aux enseignants stagiaires, c’est : « Vous n’enseignez pas une discipline, vous enseignez à des élèves une discipline. » Et ce qui est le plus important, c’est le « à des élèves ».

Comment se préparer à la réalité du métier ?

Nous sommes en train de travailler sur le prérecrutement dans certaines académies comme celles de Créteil, Versailles, la Guyane… L’année prochaine, 1 500 personnes seront concernées. Le but, c’est de faire en sorte que, dès la L2, les jeunes aient une idée de ce qui se passe dans les établissements scolaires puisqu’ils seront, à raison de 8 heures par semaine, en école ou en collège, avec un statut d’assistant d’éducation, et avec une rémunération qui sera cumulable avec la bourse. En L2, ils découvriront ; en L3, ils feront de la co-intervention ; et en M1, ils feront de l’enseignement tout seuls.

Le nombre de candidats en reconversion professionnelle vers l’enseignement augmente : quels atouts particuliers peuvent-ils mettre à profit ?

Ces candidats ont un vécu professionnel qui va leur servir. On parlait du travail en équipe : je m’aperçois que nous recrutons des gens qui ont travaillé en équipe entre adultes et qui vont être avantagés sur ce plan-là. Ils savent également s’inscrire dans la complexité de métiers différents.

À quelles difficultés peuvent-ils être particulièrement exposés ?

Les difficultés peuvent survenir pour ceux qui fuient un milieu professionnel, en pensant que la classe est une sorte de sanctuaire protégé. Or les enfants que nous avons nous rappellent très fréquemment la réalité. Aussi, les gens qui ont eu des problèmes relationnels dans leur première carrière peuvent se tromper en se tournant vers l’éducation nationale : les maîtres travaillent en équipe et sont de plus en plus en relation avec les parents qui viennent demander des comptes, et c’est tout à fait normal, sur ce que leur enfant apprend à l’école. Ceux qui idéalisent la fonction d’enseignant en croyant que le fait d’être enseignant leur donne, par le titre même, une légitimité absolue, ceux-là se trompent. Dans l’enseignement comme ailleurs, la légitimité, on se la construit par ses compétences.

Commencer avec le statut de contractuel pour conforter son choix d’enseigner : est-ce une bonne idée ?

Les contractuels sont indispensables au fonctionnement du système. À partir de là, il faut les accompagner au mieux. Notre objectif, c’est de faire des contractuels des gens reçus au concours, avec des situations qui ne sont pas les mêmes suivant les académies. Dans l’académie de Limoges où j’ai exercé par exemple, le pourcentage de contractuels était relativement élevé. Cela m’avait étonné quand j’étais arrivé et on m’avait répondu : « Quand on est à Limoges, quel est l’intérêt de passer son concours ? Si on est reçu, où va-t-on arriver ? Dans l’académie de Créteil ? Avec les loyers qu’on aura à payer, les déplacements, je préfère rester contractuel et être CDIsé au bout d’un certain temps. » Cela se conçoit tout à fait. Mon objectif, c’est que nous puissions accompagner les contractuels dans leur carrière et dans leurs choix de vie.

Les jeunes enseignants sont souvent affectés dans des établissements d’éducation prioritaire. Que répondre aux craintes que cela suscite ?

Pourquoi craindre un poste en éducation prioritaire ? Au contraire, je connais des établissements en éducation prioritaire où les gens font un travail fabuleux, où il y a une ambiance fabuleuse, où les chefs d’établissement ont su instaurer une dynamique et une cohésion de groupe qui fonctionnent parfaitement, avec des gens qui ne quitteraient pas l’éducation prioritaire pour un empire. Je ne pense pas qu’il faille dire automatiquement : éducation prioritaire = difficultés.

Alors que dire à des enseignants qui ne sont pas forcément en éducation prioritaire, mais qui rencontrent des difficultés ?

Ce qu’il faut dire à un enseignant, c’est qu’il est totalement normal qu’il ne soit pas complètement bon enseignant au début. Qu’il fasse des erreurs, c’est totalement normal. Ce qu’il ne faut pas faire, c’est garder cela pour soi. Et nous devons être là, nous, pour accompagner nos enseignants quand ils rencontrent des difficultés. Si certains croient qu’il faut garder les difficultés que l’on a et surtout ne pas en parler, parce que ça peut nuire à la carrière, etc., c’est une conception qui, à mon avis, est totalement dépassée.

Tout personnel de l’éducation nationale, quelle que soit sa fonction, à un moment ou un autre, peut être mis en échec par un groupe d’élèves, un groupe de profs s’il est personnel de direction… Ça n’a rien à voir avec sa qualité intrinsèque. À ce moment-là, cette personne-là doit pouvoir compter sur l’accompagnement de l’institution dans une logique de confiance, de protection, d’assistance, etc. Et c’est une mission que je rappelle quasi hebdomadairement à mes corps d’inspection.

Je sais par cœur ce qui se passe pour certains enseignants : ils ont des classes dans lesquelles il y a deux adolescents qui font un bazar pas possible. Ce qui va se passer, si cet enseignant ne dit rien, c’est qu’il va souffrir tout seul avec, en plus, un sentiment de culpabilité parce qu’il se dit que le temps qu’il passe pour contrôler les deux zozos en question, il est en train de délaisser le reste de la classe. Alors il le vit encore plus mal. Notre objectif, c’est de pouvoir dire aux enseignants : « Allez vers vos collègues, allez vers vos corps d’inspection, ne travaillez pas tout seul. »

Quelle aide peut apporter l’inspection ?

Les corps d’inspection sont de plus en plus dans une logique d’accompagnement des enseignants, et non plus dans une logique de contrôle et d’inspection individuelle. On a totalement changé le principe de ce que sont les corps d’inspection en très peu de temps. Maintenant, avec le rendez-vous de carrière, il y a trois passages obligés dans la rédaction des dix lignes finales : ce que la personne a fait avant, ce qu’on a vu de son travail, et les perspectives vers lesquelles elle peut évoluer. C’est-à-dire que l’inspecteur a de plus en plus un rôle d’accompagnement de proximité et de conseil en carrière. Sachant qu’il est tout à fait normal qu’à un moment donné, les enseignants puissent avoir envie d’évoluer et de faire autre chose.

Et qu’est-ce qu’on propose à ces enseignants qui souhaitent évoluer ?

On peut leur proposer de changer de niveau, en allant du collège au lycée par exemple, passer le concours de personnel de direction ou, pour les agrégés, le concours d’inspecteur, ou même riper vers d’autres métiers comme conseiller en formation continue (CFC) par exemple. Pour certains profs de langue, c’est proposer de faire 3 ans à l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger), puis de revenir sur un autre type de fonction, sur un autre type de poste dans un lycée international, une section européenne, etc. C’est aussi, au lycée, pour des gens qui sont motivés par ce domaine, leur proposer la formation sur l’enseignement de spécialité numérique qui va être quelque chose de tout à fait intéressant.

On n’est plus sur le schéma dans lequel on entre comme prof à 22 ans et on en sort à 62 et on a vu toujours le même couloir, la même salle de classe. Si certains sont dans cette optique- là, ils peuvent tout à fait le rester, mais on a le devoir de pouvoir proposer autre chose et de montrer qu’une évolution de carrière est possible.


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