La crise du recrutement actuelle le révèle : devenir enseignant fait de moins en moins rêver. Conditions de travail, salaires, formation : en quoi nuisent-ils à l’attractivité du métier ? Quelles pistes pour améliorer la situation des professeurs en poste et redonner envie aux candidats potentiels de s’engager dans l’Éducation nationale ? Voici quelques éléments de réponse.
Près de 900 000 enseignantes et enseignants…
Selon le Panorama statistique des personnels de l’enseignement scolaire de la DEPP, 892 300 enseignants exercent leurs fonctions en 2021-2022 au ministère de l’Éducation nationale au titre de l’enseignement scolaire. 55 % enseignent dans le second degré et 45 % dans le premier degré.
La majorité d’entre eux exercent dans le secteur public (84 %), le secteur privé sous contrat employant 142 000 enseignants, dont deux tiers dans le second degré.
À ces enseignants s’ajoutent 12 200 étudiants en préprofessionnalisation, population regroupant des apprentis-enseignants et des assistants de langue étrangère. Six sur dix sont dans le second degré.
La population enseignante est majoritairement féminine (71 %). Cette part est particulièrement forte dans le premier degré (92 % dans le privé, 84 % dans le public). Dans le second degré, les femmes représentent 66 % des effectifs des enseignants du privé et 59 % de ceux du public.
La part des enseignants non titulaires ou assimilés a augmenté dans les deux secteurs depuis 2015 pour atteindre 7 % en 2021. Dans le secteur public, les non-titulaires exercent essentiellement dans le second degré (près de 10 %, contre 1 % dans le premier degré). Dans le secteur privé, les maîtres-délégués ou suppléants, agents rémunérés sur une échelle de non-titulaires, représentent une plus grande part des effectifs : 15 % dans le premier degré, 20 % dans le second.
La plupart sont recrutés en contrat à durée déterminée (CDD) : 77 %, contre 23 % de contrats à durée indéterminée (CDI), avec une part un peu plus forte des CDD dans le privé que dans le public.
Les enseignants non titulaires sont plus souvent employés à temps partiel que leurs collègues titulaires, notamment dans le secteur privé où les proportions atteignent respectivement 41 et 15 %. En effet, alors que seuls les titulaires qui le demandent exercent à temps partiel (pour élever un enfant par exemple), les non-titulaires acceptent parfois sans l’avoir choisi d’être recrutés sur un service à temps non complet faute d’heures disponibles.
La répartition des enseignants sur le territoire est inégale selon leur âge. D’après l’édition 2021 de La géographie de l’école publiée par la DEPP, la part des professeurs des écoles âgés de moins de 35 ans est globalement un peu plus élevée dans le secteur public, et particulièrement dans les départements de la moitié nord de la France métropolitaine. La part des moins de 35 ans est également plus forte chez les enseignants contractuels dans les deux secteurs.
Les académies de Créteil et Versailles en particulier offrent chaque année de nombreux postes aux concours. Elles accueillent ainsi les plus fortes proportions de jeunes enseignants en France métropolitaine : 37 % d’enseignants de moins de 35 ans en Seine-Saint-Denis, 30 % dans le Val-d’Oise et le Val-de-Marne.
À l’inverse, la pointe bretonne et certains départements ruraux présentent moins de 16 % d’enseignants de moins de 35 ans (12 % pour les Hautes-Alpes et l’Ardèche). La part des enseignants de plus de 50 ans est élevée dans les départements dits attractifs comme les départements littoraux, mais également à Paris ainsi que dans les Vosges.
Dans les DROM, la situation est contrastée : la Guadeloupe et la Martinique ont une population plus âgée, à l’inverse de Mayotte et la Guyane qui présentent une population d’enseignants plus jeune.
Comme dans le premier degré, c’est dans le bassin parisien et dans le nord de la France que les enseignants des collèges et des lycées sont les plus jeunes, avec en particulier 44 % d’enseignants de moins de 35 ans en Seine-Saint-Denis. A contrario, c’est en Corse-du-Sud (47 %), en Haute-Corse (43 %), dans les Pyrénées-Atlantiques, le Finistère et Paris (42 %) que la proportion d’enseignants de 50 ans et plus est la plus importante mais également en Martinique (46 %) et en Guadeloupe (43 %) pour les DROM.
Dans son rapport sur « la comparaison européenne des conditions de travail et de rémunération des enseignants », paru en juin 2022, le sénateur Gérard Longuet « se pose la question de l’affectation des enseignants débutants dans des zones réputées difficiles ». Il indique que « de nombreuses études ont été consacrées à cet aspect, dont une analyse détaillée de la Cour des comptes, soulignant à quel point le mode d’affectation des enseignants peut s’avérer désincitatif et constituer un véritable frein à l’attractivité du métier ».
… satisfaits de leur environnement de travail…
La dernière enquête internationale sur l’enseignement et l’apprentissage Talis (Teaching And Learning International Survey) de l’OCDE, publiée en 2018, interroge les enseignants sur leur satisfaction professionnelle, leur niveau de stress et ses sources.
Aussi bien dans le premier que dans le second degré, les enseignants français expriment une forte satisfaction liée à leur environnement de travail. En effet, neuf enseignants sur dix déclarent aimer travailler dans leur établissement. Ils sont également plus de huit sur dix à être satisfaits de leur action et de ses résultats dans leur établissement.
… mais peu valorisés…
En revanche, ils associent un faible niveau de prestige à leur métier. Dans les deux degrés, moins d’un professeur sur dix considère que son métier est valorisé dans la société ou par les médias, qu’ils peuvent influencer les politiques éducatives ou que leur opinion est valorisée par les décideurs. Au collège, les enseignants récemment entrés dans la profession sont plus nombreux que les autres enseignants à considérer que leur métier est valorisé dans la société et qu’ils peuvent influencer les politiques éducatives.
Autre facteur de mécontentement : la rémunération. En effet, si les trois quarts d’entre eux sont satisfaits de leur contrat de travail et de leur statut, ils ne sont en revanche qu’une minorité à se dire satisfaits de leur rémunération. Dans sa dernière étude comparative annuelle, Regards sur l’éducation, l’OCDE montre que le salaire statutaire annuel des enseignants français en milieu de carrière reste inférieur de 19 % à la moyenne de celui de leurs collègues européens.
Conscient de ce problème qui nuit à l’attractivité du métier, le Gouvernement travaille sur une revalorisation du salaire des enseignants, le Président Emmanuel Macron ayant promis notamment qu’« aucun professeur ne débutera sa carrière à moins de 2 000 euros nets à compter de la rentrée 2023 ».
Dans son rapport sur « la comparaison européenne des conditions de travail et de rémunération des enseignants », le sénateur Gérard Longuet propose aussi d’ « étudier les possibilités juridiques permettant de mettre en place une bonification de la rémunération pour les enseignants dans les disciplines et les territoires où le déficit de professeurs est le plus important », comme c’est le cas en Angleterre.
Mais il précise que si ces augmentations sont nécessaires, elles ne suffiront toutefois pas à susciter de nouvelles vocations. Car « peu de pays européens sont épargnés par des pénuries d’enseignants, […] quel que soit le niveau de rémunération des enseignants. Le cas de l’Allemagne est de ce point de vue significatif : malgré des rémunérations élevées, il pourrait y manquer plus de 26 000 enseignants dans le cycle primaire d’ici 2025 ».
… stressés…
L’association SynLab s’est intéressée à l’évolution de la santé mentale à l’école depuis la crise sanitaire, évoquant « une pandémie du stress à l’école qui touche à la fois les jeunes et adultes ». D’après sa « Grande enquête scientifique – la santé mentale à l’école » menée en avril-mai 2022, « 38 % des enseignants interrogés se sentent émotionnellement vidés par leur travail une fois par semaine au moins. Plus de 80 % des enseignants présentent un score faisant référence à un épuisement émotionnel moyen ou fort ».
Selon le conseil scientifique de cette enquête, les analyses statistiques réalisées suggèrent l’existence d’un lien entre le stress des élèves et celui des enseignants. Fernando Núñez-Reguiero, chercheur en sciences de l’éducation spécialiste du décrochage scolaire, explique : « Le stress des élèves a un impact sur l’enseignant. Certains élèves vont exprimer leur stress par des comportements de perturbation de la classe. Or, la gestion de ces comportements perturbateurs est la première source de stress chez les enseignants. Il existe donc un lien entre le stress des élèves et celui des enseignants. »
L’enquête Talis de l’OCDE publie d’autres données et d’autres causes du stress, antérieures à la crise sanitaire. Ainsi, à l’école et au collège, près d’un professeur français sur dix indique être « beaucoup » stressé par son travail. Une part plus importante d’enseignants en France se dit « beaucoup » ou « dans une certaine mesure » stressée (61 % dans le premier degré et 52 % dans le second).
Ces professeurs identifient comme premières sources de stress, dans le premier degré, le fait d’être tenu responsable de la réussite de leurs élèves, d’avoir une trop grande quantité de cours à préparer et de devoir adapter les cours aux élèves à besoins éducatifs particuliers. 46 % d’entre eux comptent d’ailleurs dans leur classe plus de 10 % d’élèves ayant des besoins éducatifs particuliers (contre 30 % pour les enseignants « très peu » ou « pas du tout » stressés).
Au collège, les sources de stress les plus citées ont trait au maintien de la discipline, au respect des nouvelles exigences institutionnelles et au fait d’avoir trop de devoirs à corriger.
… et qui ont besoin d’être mieux formés
Ainsi, sans surprise, d’après la même enquête Talis de 2018, les enseignants des premier et second degrés sont nombreux à signaler un besoin élevé de formation pour enseigner aux élèves ayant des besoins éducatifs particuliers. Ils expriment également des besoins élevés de formation aux compétences TICE et à la mise en œuvre d’approches pédagogiques individualisées.
À l’inverse, les domaines ayant trait aux compétences pédagogiques, à la connaissance et à la maîtrise de la discipline enseignée ainsi qu’aux connaissances des programmes scolaires sont ceux pour lesquels les enseignants sont moins nombreux à exprimer des besoins élevés de formation. Pourtant, les formations relatives à ces trois domaines sont celles qui ont été les plus suivies au cours des douze derniers mois précédant l’enquête Talis 2018.
Les enseignants ayant moins de trois années d’ancienneté expriment des besoins supérieurs pour des formations touchant à la gestion de la classe et du comportement des élèves, et des besoins moindres s’agissant du numérique.
À noter : les enseignants n’attendent pas seulement que la formation sur ces thèmes soit étendue, mais aussi que la qualité et l’efficacité en soit améliorée. En effet, parmi les professeurs des écoles ayant abordé en formation la prise en compte de l’hétérogénéité des élèves, la gestion de la classe ainsi que l’utilisation du numérique en classe, seul sur quatre s’y estime bien ou très bien préparé. Quant aux enseignants du secondaire, seul un enseignant sur trois ayant abordé la gestion de la classe s’estime bien ou très bien préparé.
Parmi les solutions, le sénateur Gérard Longuet propose d’« étendre l’accompagnement des professeurs débutants au-delà de leur seule année de stage, pendant les deux ou trois premières années d’enseignement, en particulier au travers du mentorat ».