Comment agir face à des générations d’élèves de plus en plus zappeurs, happés par leurs écrans, peu attentifs en classe, peu concentrés ? Dans son livre Réveiller le désir d’apprendre (Albin Michel, 2016), Agnès Baumier-Klarsfeld interroge les conditions d’enseignement actuelles. Le livre fourmille de propositions, de résultats de recherches et d’initiatives locales fructueuses qui pourraient faire tache d’huile.
Les élèves ont changé. Leur attention n’est plus celle des générations précédentes. On a l’impression qu’ils zappent sans arrêt d’un sujet à un autre. Dans votre livre, vous donnez aux enseignants des pistes pour les aider à soutenir cette attention si volatile. Pouvez-vous donner quelques exemples ?
Beaucoup d’élèves font leurs devoirs devant la télévision ou de plus en plus en répondant en continu à leurs messages. On peut les aider à prendre conscience des conséquences de ces pratiques pour eux si banales grâce à une vidéo disponible en ligne.
Dans cette séquence réalisée à l’initiative de deux chercheurs de Harvard, on voit des joueurs de basket dribbler et se faire des passes. Les spectateurs sont invités à compter ces passes, puis on leur demande s’ils ont remarqué quelque chose de particulier. Une infime minorité a vu passer dans le champ un individu déguisé en gorille. Les autres, qui se concentraient sur le nombre de passes, n’ont rien perçu…
Cette vidéo dite du «gorille invisible» montre que quasiment personne n’arrive à faire deux choses à la fois de manière efficace, en l’occurrence compter et regarder l’ensemble de la scène. C’est un très bon outil pour enclencher une discussion plus large avec des collégiens voire des lycéens sur la manière dont fonctionne l’attention chez chacun.
Voir la vidéo du «gorille invisible»
La fondation La Main à la pâte a réalisé un dossier sur l’attitude des élèves face aux écrans qui peut aussi inspirer beaucoup de professeurs des écoles.
Découvrir le projet Les écrans, le cerveau et… l’enfant de La Main à la pâte
Y a-t-il des méthodes reconnues comme efficaces pour favoriser la concentration ?
Adèle Diamond, chercheuse à l’Université de Colombie-Britannique au Canada, a consacré l’essentiel de ses recherches à ce sujet crucial. Elle démontre que l’attention peut s’améliorer de manière importante si on la travaille, même si chacun a au départ des aptitudes différentes.
Que dit-elle ? Attention ! Le cortex préfrontal, lieu clé du contrôle cérébral, est une zone très vulnérable, vite perturbée par le stress, le manque de sommeil ou une mauvaise forme physique.
Pour renforcer la concentration, elle préconise des activités spécifiques qui ont montré leur pouvoir en la matière : la danse, par exemple, ou le yoga, les arts martiaux, la pratique d’un instrument de musique…
Des informations qui peuvent intéresser les élèves, mais également les parents et les responsables d’établissement. On sait aujourd’hui que quelques minutes de méditation quotidienne améliorent considérablement la concentration.
Adèle Diamond met en évidence également l’impact du jeu, du «faire semblant» dans le développement de la concentration chez les jeunes enfants. Depuis près de vingt-cinq ans, des écoles maternelles américaines ont permis d’augmenter sensiblement la réussite ultérieure de leurs élèves grâce à un programme baptisé «Tools of the mind», basé sur ces principes.
Lire l’article d’Adèle Diamond paru dans Les Dossiers de la Recherche
Vous mettez en regard dans votre livre des témoignages d’élèves et des analyses de chercheurs qui décortiquent leurs perceptions, leurs réactions face à la difficulté lorsqu’ils apprennent. Que nous dévoilent-ils de ces élèves d’aujourd’hui ?
Un des premiers constats est l’importance des relations entre élèves. La plupart des jeunes interrogés sur la manière dont ils vivent l’école nous ont parlé d’abord de l’atmosphère de leur classe, de leurs liens avec leurs copains, du fait qu’ils ne levaient pas le doigt s’ils ne se sentaient pas en confiance, s’ils avaient peur d’être moqués.
En réalité, on sait aujourd’hui que des interactions détendues «catalysent» les apprentissages, que les échanges sont tout sauf une perte de temps, qu’on apprend difficilement tout seul.
Les Canadiens, dont le système éducatif est un des meilleurs du monde, font travailler leurs élèves en petits groupes une grande partie de leur scolarité, y compris pour des apprentissages très classiques. Tout l’art du professeur dans ce contexte est d’apparier les enfants de manière harmonieuse et de réguler leurs collaborations.
Le chercheur Robert Slavin a beaucoup étudié ces pratiques pédagogiques et montré leur grande efficacité quand elles sont maîtrisées. Une recherche que je cite souligne les progrès étonnants réalisés par des enfants à qui l’on demande juste de travailler trois demi-heures chaque semaine avec un coéquipier, en jouant alternativement le rôle d’élève et d’enseignant.
Travailler à plusieurs serait plus motivant, est-ce la clé des apprentissages réussis ?
Beaucoup d’élèves que nous avons rencontrés s’interrogent aussi sur le sens de ce qu’on leur apprend. En particulier quand ils ont des difficultés. À quoi cela sert-il vraiment ? N’est-ce pas totalement inutile ?
Ces questions sont de bonnes questions, mais il faut savoir les interpréter. Il ne s’agit pas le plus souvent d’une interrogation sur l’utilité pratique du savoir. Ils ont surtout besoin de sentir une continuité entre le système scolaire et leur univers familial et familier, d’établir des liens avec des questionnements personnels.
De nombreuses initiatives permettent de donner ainsi sens aux savoirs scolaires. Une directrice de maternelle lyonnaise, Catherine Delattre-Hurtig, a écrit un livre très pratique sur les manières de faire alliance avec les parents de milieux éloignés de l’école.
Le réseau «Bâtisseurs de possibles», dans un autre registre, propose de mener avec les enfants de classes élémentaires des actions pour améliorer la vie dans leur communauté. Ces projets très motivants les amènent à écrire, lire, calculer, et donc vouloir progresser dans ces apprentissages fondamentaux.
Vous parlez aussi beaucoup de l’importance de la confiance en eux des élèves et de leur besoin de se sentir autonomes…
J’ai été frappée par le rôle majeur des projections. Les élèves, s’ils pensent qu’ils ne peuvent pas réussir, cessent de se mobiliser et finissent effectivement souvent par échouer. Le «phénomène Pygmalion» est incroyablement puissant.
Quand le professeur y croit, qu’il montre sa confiance, l’élève se donne à fond. S’il se sent remis en cause, la plupart du temps, il rentre dans sa coquille ou bien sous-performe en raison juste de son stress.
On a prouvé que les filles, qui, en France, ont tendance à sous-estimer leurs capacités en maths, réussissent mieux un exercice de géométrie si on leur dit que c’est du dessin que si elles le font en cours de maths !
Surnoter des élèves qui manquent de confiance en eux est parfois une bonne stratégie en début d’année. Permettre aux élèves de retravailler une copie pour l’améliorer est aussi une technique fructueuse.
Dans tous les cas, susciter chez les élèves une réflexion régulière sur leurs stratégies d’apprentissage est très utile. Ainsi, une mauvaise note incite à remettre en cause ses méthodes et non ses capacités.
Veiller à donner aux jeunes une impression de relative autonomie est aussi essentiel. Y parvenir tout en respectant des programmes obligatoires est, je le concède, un défi, mais on peut souvent laisser de petits choix aux élèves et cette marge de manœuvre fait la différence.
Très souvent, en cas de difficultés, on a par ailleurs tendance à accroître le contrôle. Or, moins les élèves ont de prise sur ce qu’ils font, moins ils s’engagent. Un très grand nombre d’élèves décrochent après une orientation subie, parce qu’ils ne se sentent pas pris en compte comme individus.
L’équilibre entre bienveillance et exigence n’est pas facile à trouver ! Où est la limite entre bienveillance et laxisme ?
L’idée n’est certainement pas de féliciter tout le monde y compris les élèves qui ne travaillent pas suffisamment. La politique d’encouragement systématique, très pratiquée aux États-Unis, n’apporte pas de bons résultats.
L’important est que les élèves comprennent ce que j’appelle l’effet de l’effort, qu’ils sachent à quel point le cerveau est plastique, que, lorsqu’ils étudient, qu’ils se donnent du mal, le cerveau se modifie physiquement, que de nouvelles connexions se créent et qu’ils deviennent ainsi «plus intelligents».
Carole Dweck, célèbre professeur de psychologie, a montré que l’enseignement de la plasticité cérébrale pouvait provoquer chez les jeunes en difficulté une véritable prise de conscience de leurs possibilités et engendrer des progrès considérables, en particulier chez les élèves issus de minorités qui souffrent d’une mauvaise image d’eux-mêmes.
L’utilisation de jeux interactifs est par ailleurs très utile. L’élève reçoit en continu des feed-back. Il sait s’il a appris ou non, peut recommencer, s’entraîner pour améliorer son score. En même temps, il n’est pas jugé par un adulte, n’a pas peur d’être mis en cause.
Ce sont des environnements bienveillants et non laxistes très efficaces pour la mémorisation. Il y a un effort considérable à faire dans ce domaine pour que les professeurs connaissent les logiciels les mieux conçus pour leurs élèves et sachent en tirer parti.
Dans le cadre de mon enquête, j’ai fait un reportage au Danemark, pays européen leader en matière d’utilisation des technologies dans un cadre scolaire, j’ai été frappée des possibilités offertes à des coûts très limités.
On attend beaucoup des technologies numériques. N’en attend-on pas trop ?
Les grands plans d’équipement successifs des établissements n’ont pas permis d’obtenir des résultats extraordinaires… La question de l’équipement est une vraie question mais si les enseignants ne sont pas mieux formés qu’ils ne le sont aujourd’hui, les usages resteront limités.
On ne se lance pas en classe avec des outils qu’on maîtrise à moitié. La prise de risque est trop importante. Or, il existe de nombreux outils gratuits, assez faciles à mettre en œuvre, dont j’ai vu l’usage au Danemark, et qui changent la classe sans engendrer de surtravail pour les enseignants. J’en donne de nombreux exemples dans mon livre.
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Faut-il avoir peur de l’interdisciplinarité à l’école ?
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