Les enseignants doivent faire face à des situations relationnelles parfois problématiques : classes démobilisées, élèves perturbateurs, harcelés, en échec, parents agressifs… Comment se libérer de la pression, sortir de la souffrance relationnelle, (re)trouver à la fois de la souplesse, de l’autorité et de la liberté, et réussir à faire ce métier sans se sacrifier ? Dans son livre Comment ne pas être un prof idéal (Payot, janvier 2018), Emmanuelle Piquet vous apporte des solutions avec humour et empathie.
CES INJONCTIONS QUI PARALYSENT
« C’est le décalage entre les efforts, le but idéal de l’enseignant et le résultat de ces efforts qui vont progressivement mener à l’état final qu’est le burn-out. » Et à l’origine de ce décalage : des injonctions qui paralysent.
Présentes dans votre esprit avant même que vous ne commenciez à enseigner, ces injonctions peuvent vous paralyser assez vite au quotidien avec vos classes parce qu’elles génèrent immanquablement une impossibilité d’y répondre correctement.
Car soit, en bon élève, vous tentez de vous y conformer et vous n’y parvenez pas (il s’agit en effet pour leur grande majorité d’objectifs totalement illusoires) : vous vous envoyez alors le désagréable message que vous n’êtes pas un bon enseignant.
Soit, lucide, vous prenez la décision de ne même pas essayer et on vous renverra le message que vous n’êtes pas un bon enseignant.
Dans les deux cas, vous êtes perdant.
Savoir déceler ces injonctions paradoxales et les mettre à jour face à ceux qui vous les envoient (et aussi face à vous-même) peut être extrêmement apaisant pour tout le monde. Ce qui n’est pas rien car il est impossible d’exercer ce difficile métier sans un minimum de sérénité.
Le pragmatisme de l’École de Palo Alto est à l’œuvre dans ce livre et vous donne des pistes pour prendre des virages à 180° par rapport à ce que vous avez déjà mis en œuvre sans succès dans un certain nombre de situations délicates.
Il ne s’agit pas du tout d’un livre mode d’emploi, mais de vignettes commentées issues de situations réelles qui peuvent vous amener à réfléchir en dehors des sentiers battus pour retrouver un peu d’oxygène, notamment au début de votre parcours professionnel. Voici 5 de ces injonctions paralysantes…
Injonction n° 1 : « CHAQUE ÉLÈVE EST DIFFÉRENT, À VOUS DE VOUS Y ADAPTER »
Ah oui ? À moins de transformer la classe en une série de mini-cours particuliers (ce qui vous transformera rapidement en marsupilami hystérique), la tâche est impossible. Les enfants différents sont légion et on peut même dire qu’il y en a de plus en plus puisque les diagnostics tombent de tous les côtés, toujours plus enfermants et paralysants, toujours moins psycho-dégradables.
Comment s’adapter aux trois dyspraxiques du fond qui ont besoin de beaucoup plus de temps, aux quatre hyperactifs qui se jettent régulièrement par terre, aux trois hypersensibles dont on ne sait pas quand ils vont se mettre à pleurer, aux deux troublés de l’organisation qui ont encore oublié leur cahier et aux quinze non diagnostiqués (pour l’instant) dont les parents nous reprochent qu’ils sont un peu mis de côté ?
Un prof ne peut pas s’adapter à tous et à chacun ; il peut prendre en considération les difficultés des uns et des autres en leur proposant des solutions à mettre eux-mêmes en place avec leurs parents, mais insérer de l’hyperpersonnalisé dans le collectif est très souvent voué à l’échec.
Injonction n° 2 : « JE DOIS ME FAIRE RESPECTER »
Et avoir une classe silencieuse, obéissante aux consignes, en apprentissage, calme. Bref, sous contrôle.
Ah oui ? Ce qui signifie donc que dès qu’un enfant ou un adolescent, très sensible à cette auto-injonction très adulte, va tenter de la faire exploser, vous allez en conclure que vous n’êtes pas respectable. Et vous mettre à exiger encore plus de respect de votre classe et en particulier des plus ingérables, vous mettant ainsi encore plus en danger relationnel puisqu’il y a fort à parier que ces derniers mettent tout en œuvre pour échapper au contrôle.
Faire preuve de souplesse et montrer que son éventuelle désobéissance ne suscite aucune émotion chez nous, et certainement pas l’envie de le mater, peut clairement désarçonner le plus rebelle de vos élèves.
Injonction n° 3 : « JE DOIS ME FAIRE APPRÉCIER »
C’est également une auto-injonction que les élèves pressentent intensément et dont ils vont parfois abuser pour obtenir de votre part un certain nombre de dérogations, de possibilités, de délais en tous genres, en jouant sur votre envie que la relation reste bonne.
Ces mêmes élèves vous reprocheront vos indulgences ensuite (considérant selon le mot en vogue que vous êtes une victime) ou le fait qu’excédé au bout d’un moment, vous soyez beaucoup moins conciliant. Encore une fois, quoi qu’il en soit, vous êtes perdant.
Injonction n° 4 : « JE NE DOIS LAISSER AUCUN ÉLÈVE SUR LE BORD DE LA ROUTE »
Petite sœur de l’injonction « Chaque élève est différent, à vous de vous y adapter », elle peut créer beaucoup de frustration et d’épuisement chez des enseignants qui certaines fois, évidemment, n’y parviennent pas. Alors qu’ils ont le sentiment d’avoir mis en œuvre beaucoup de choses : aménagements adaptés, barèmes spécifiques, accompagnements individualisés, séances individuelles et parentales de remotivation. En vain, parfois.
C’est que lorsque l’on est victime de cette injonction, on oublie souvent le désir propre de l’élève, n’écoutant que celui de l’Institution, voire de la société, fait de bonnes intentions et d’objectifs partagés par tous, mais pas par l’élève lui-même.
Réfléchir à des moyens de le responsabiliser vraiment par rapport aux différentes voies qui s’offrent à lui, sans vouloir en privilégier une, est souvent très porteur d’apaisement.
Injonction n° 5 : « JE DOIS FAIRE EN SORTE QU’IL N’Y AIT PAS DE VIOLENCE »
Une des injonctions les plus modernes envoyées à l’Institution et de façon plus incarnée aux enseignants, par les parents notamment, est celle d’une école, d’un collège, d’un lycée sans violence.
C’est encore une fois une illusion, les établissements sans violence n’existant pas. Encore une fois, pour certains élèves, leaders d’opinion, le fait même que cette violence vous heurte ou vous atteigne n’aura malheureusement qu’un effet démultiplicateur.
Les leçons de morale, punitions, discours moralisateurs n’ayant souvent aucun impact, le virage à 180° consiste à aider les enfants en souffrance, victimes de violence, à mettre en œuvre des parades pour que le harcèlement s’arrête. En étant à côté d’eux, pas entre eux et le monde.
Découvrez-en un exemple concret : vocationenseignant.fr/reagir-face-au-harcelement-dans-sa-classe-cas-concret/