Richard-Emmanuel EASTES
Docteur en sciences de l’éducation et philosophie,
Chercheur associé au Laboratoire de Didactique et d’Epistémologie des Sciences,
Université de Genève
www.richard-emmanuel.eastes.eu

À travers le monde, la formation des enseignants prend des formes très variées,
bien que le métier reste sensiblement le même au sein d’établissements organisés selon des modèles de l’école qui s’avèrent très similaires. Un métier sur lequel pèsent presque partout les mêmes défis pédagogiques, les mêmes enjeux sociétaux, les mêmes attentes éducatives, les mêmes contradictions politiques…

En Suisse, après une formation universitaire disciplinaire, les étudiants (dans toute la suite de l’article, le générique masculin est généralement substitué au langage épicène à la fois par souci de simplification et dans le but d’encourager les hommes à embrasser la carrière enseignante, accroissant ainsi la diversité de genre dans le corps enseignant pour le plus grand bénéfice des enfants.) qui souhaiteraient embrasser une carrière enseignante entrent dans des Hautes Écoles Pédagogiques pour y suivre des cursus de un à trois ans selon le niveau visé. Ils apprennent alors leur futur métier au travers de stages accompagnés, d’échanges de pratiques, de cours magistraux et de diverses activités en sciences de l’éducation et en didactique des disciplines.

En tant que recteur d’une telle institution, disposant de quelques rares et courtes occasions de m’adresser aux étudiants durant leurs études, j’ai ainsi eu l’opportunité de m’interroger sur les messages principaux qui seraient susceptibles de les guider lorsqu’ils prendraient la responsabilité d’une classe, puis tout au long de leur carrière.

À partir d’une vision prospective de la société et de la manière dont le métier d’enseignant est susceptible d’évoluer dans les années et décennies à venir, six messages universels m’ont semblé émerger tout naturellement et devoir leur être délivrés.

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1- Les enseignants d’aujourd’hui et de demain sont essentiels et précieux

Il ne devrait même pas être nécessaire de l’écrire, tant il est une évidence que ce métier est fondamental pour l’avenir de notre société. Ce sont les enseignantes et les enseignants qui forment, année après année, les futurs citoyens de ce monde. Tous les futurs citoyens. Eux qui éduquent les enfants qui seront demain les acteurs du changement.

Lorsque l’on songe que 65 % des métiers qu’exerceront les élèves de l’actuelle école primaire n’existent pas encore (Département d’État américain du travail), et que les derniers élèves des étudiants actuellement formés au métier d’enseignant prendront leur retraite après l’année 2100, on mesure l’importance des enjeux de la formation à cette profession.

2- Les enseignants d’aujourd’hui et de demain sont courageux

Ils savent en effet s’adapter à un monde qui change toujours plus vite. Brassages socioculturels et tentation du repli identitaire, intrusion du numérique dans la vie quotidienne et dans les moyens d’enseignement, élaboration incessante et rapide de
nouvelles connaissances, évolutions du rapport au savoir… Les défis qui attendent la profession sont fantastiques.

Et les acteurs doivent savoir qu’ils s’exposent à de nombreuses inquiétudes, frustrations, voire désillusions, s’ils ne sont pas préparés à des bouleversements majeurs de leur métier, dans un environnement sociopolitique et face à des élèves et des parents dont le rapport à l’école évolue sans arrêt.

3- Les enseignants d’aujourd’hui et de demain sont des chercheurs

Ou en tout cas, ils doivent apprendre à l’être face aux difficultés de leurs élèves.
C’est la raison pour laquelle ils sont de plus en plus souvent formés par la recherche, qu’elle soit pédagogique ou non. Non pas pour en faire des producteurs de connaissances académiques, mais pour trois raisons majeures :

les habituer à se documenter sur leur métier et à suivre ses évolutions ;

leur donner une culture épistémologique minimale leur permettant de comprendre comment s’élaborent les savoirs en général ;

les inscrire dans une culture de la recherche, c’est-à-dire de l’investigation.

Former les enseignants par la recherche, ce n’est pas leur faire manipuler des concepts abstraits, élaborer des théories fumeuses, faire de la théorie pour la théorie. C’est bien au contraire les habituer à adopter une posture réflexive, à lutter contre les réflexes, les idées reçues et les habitudes, à chercher à voir derrière les apparences.

4- Les enseignants d’aujourd’hui et de demain sont des cultivateurs bio

Ils cultivent leurs élèves et savent voir dans chacun le potentiel qu’il pourrait développer.

À l’inverse de l’agriculture intensive qui construit des champs bien réguliers, aux épis tous identiques, sélectionnés sur un modèle unique, les agriculteurs bio promeuvent la diversité et le mélange des cultures, les synergies entre espèces, la résilience par la variété. Ils savent exploiter le terrain et les conditions climatiques locales pour donner sa chance à chaque petite pousse, même fragile, conscients qu’ils sont de la richesse nutritive ou gustative particulière qu’elle recèle.

Les enseignants se doivent, de même, de cultiver leurs classes comme des prairies et des forêts, et non pas comme des seaux (des sots ?) que l’on remplit. Ils se doivent de laisser tous les talents se développer, les élèves différents être forts dans leurs différences, sans les formater sur un modèle unique de « bon élève ».

5- Les enseignants d’aujourd’hui et de demain sont des experts de la créativité

Dans les 30 prochaines années, selon l’UNESCO, il y aura plus de personnes diplômées dans le monde que dans toute l’histoire. Soudainement, un diplôme est nécessaire pour tout, mais les diplômes valent aussi beaucoup moins. C’est le processus dit d’inflation académique.

Face à d’autres individus qui possèdent eux aussi des diplômes, face à d’autres pays qui donnent eux aussi accès aux études supérieures à une majorité d’étudiants, ce qui fera la différence à l’avenir sera la capacité à penser autrement, à sortir du cadre, à être créatif.

Dès lors, les compétences précieuses de demain ne seront peut-être pas les mêmes que celles d’hier, celles qui nous ont fait, nous, réussir à l’école.

Que sera un « bon élève » dans le monde de demain ? Hier, c’était un élève qui savait restituer de manière conforme et rapide le propre savoir de l’enseignant. Demain, il devra probablement également savoir où trouver la connaissance, comment la synthétiser et l’utiliser, être capable de produire une réflexion propre, fraîche et créative de lui-même.

« Le monde moderne se moque bien de ce que vous savez. Il s’intéresse à ce que vous savez en faire. Il a besoin de gens créatifs, capables de croiser les sujets quand l’école française fait encore trop réciter des leçons. En France plus qu’ailleurs, on n’enseigne pas suffisamment ce qui sera pertinent pour réussir sa vie ! », a récemment déclaré Andreas Schleicher, directeur de l’éducation de l’OCDE, responsable des études PISA.

6- Les enseignants d’aujourd’hui et de demain n’ont plus peur de l’erreur

« Il n’est pas obligatoire de se tromper pour être créatif », rassure Ken Robinson dans la conférence TED la plus vue depuis que TED existe. Mais celui qui n’est pas prêt à se tromper ne produira jamais rien d’original. Nous devons donc apprendre à ne plus nous défier de l’erreur, à ne pas stigmatiser celles de nos élèves, à reconnaître qu’une erreur n’est pas toujours une faute.

Apprendre à enseigner la musique ou les langues, voire même les sciences, dans l’objectif de faire acquérir aux élèves la capacité de s’exprimer librement avant celle de le faire « sans fautes ».

« L’enseignant est celui qui, à travers ce qu’il professe, peut vous aider à découvrir vos propres vérités » soulignait déjà Platon. « [C’est] un médiateur qui aide chacun à se comprendre, à se connaître », complète Edgard Morin, sociologue français («Dialogue sur la connaissance», p.28, Édition de l’aube, 2002). Le contraire d’un censeur, en somme…

On relève parfois avec humour qu’un « problème » récurrent de la plupart des enseignants proviendrait de leur condition « d’anciens bons élèves ». Une condition qui ne faciliterait pas leur compréhension des difficultés des élèves (difficultés qu’ils n’ont, eux, parfois jamais eues), du manque de motivation de ces derniers pour leurs matières (qui, eux, les ont toujours passionnés), et qui leur fait souvent préférer les élèves qui, comme eux, ont compris leur « métier d’élève », c’est-à-dire les attentes parfois un peu formatées du système éducatif.

Si nous avons besoin de « bons élèves », eux-mêmes peut-être un jour futurs « bons enseignants », il nous importe en effet de réfléchir au sens à donner à cette notion afin de tendre collectivement vers un idéal d’éducation au service de la société tout entière. Un idéal qui, selon nous, conduit à faire de nos élèves des personnalités créatives, ouvertes et impertinentes, capables d’innover et de bien penser plutôt que de savoir simplement restituer notre propre savoir.

Car ce sont bien les enseignantes et les enseignants d’aujourd’hui qui cultivent les esprits libres et créatifs de demain. Qu’ils et elles en soient ici remercié-e-s.


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